Jazz Fusion |
Dès les premières mesures de The Outernet, on sait où l’on met les pieds. Le terrain est familier, presque rassurant, surtout pour ceux qui ont un jour succombé à la virtuosité fluide de Jaco Pastorius ou aux architectures polyrythmiques de Weather Report. Cette musique affiche sans détour sa filiation. Le premier titre agit comme une déclaration d’intention, une carte d’identité sonore: celle d’un jazz progressif qui revendique haut et fort ses influences. Mais c’est seulement avec le deuxième morceau que le groupe commence à se révéler. À ce moment-là, The Outlet cesse de citer ses maîtres pour dialoguer avec eux. Le résultat évoque une filiation imaginaire entre Uzeb et Weather Report, un hybride élégant, né quelque part entre Montréal et Miami, entre chaleur analogique et précision numérique.
Dès le départ, The Outlet ne cache pas son goût pour l’âge d’or de la fusion, ces années, à la charnière des décennies 1980 et 1990, où la virtuosité instrumentale flirtait avec le vernis pop et l’innovation technologique. Même la palette sonore, batterie précise, nappes de synthétiseurs, guitare aux reflets nacrés, semble calibrée pour réveiller une mémoire collective. Écouter l’album, c’est un peu comme pénétrer dans une capsule temporelle, baignée de néons et de consoles argentées. L’expérience provoque un curieux vertige, celui d’un lieu inconnu dont on garde pourtant le souvenir. Mais c’est précisément cette nostalgie maîtrisée qui confère au groupe sa personnalité: celle d’un «revival» sincère, d’un langage musical qui croyait encore qu’on pouvait concilier complexité et plaisir immédiat.
Au cœur de cette aventure, Phil Turcio, pianiste, compositeur, producteur, agit comme un architecte discret mais essentiel. Son parcours commence à l’adolescence, quand la curiosité se transforme en discipline, et la discipline en réflexe créatif. Aujourd’hui, ses compositions semblent jaillir d’un autre plan: il raconte que certaines mélodies s’imposent à lui et trouvent leur forme définitive en quelques heures, un phénomène quasi mystique. La technologie devient alors pour lui moins un outil qu’un prolongement naturel, un moyen de fixer l’instant d’inspiration avant qu’il ne s’évapore. Ce rapport immédiat à la création marque profondément The Outernet, où même les passages les plus produits conservent une fraîcheur d’improvisation.
Reste que ce premier album est, sans ambiguïté, un disque de débuts. Il déborde d’énergie, de virtuosité, d’envie de démontrer. Les musiciens y testent leurs limites, empilent les couches de brio au risque de perdre, parfois, le fil émotionnel. Les instants de grâce existent, mais la densité peut étouffer l’élan poétique. Le groupe se tient, pour l’instant, à la croisée des chemins: entre rock progressif et jazz progressif, entre la tête et le cœur, entre la technique et la transcendance. Cette tension est stimulante, parfois épuisante, mais toujours révélatrice d’un potentiel en gestation.
L’idée de The Outlet est née avant la pandémie, lors de séances de remue-méninges où tout semblait encore possible. De ces échanges a émergé un concept: non pas un simple groupe, mais une entité sonore, une alliance capable de résister aux turbulences qui allaient suivre. Leur première prestation live a confirmé ce pressentiment: The Outernet n’était pas le fruit du hasard mais celui de la persévérance. Plus qu’un ensemble, c’est une convergence, de passion, de courage et d’endurance, forgée dans l’incertitude.
Sur scène, cette endurance devient énergie. The Outlet joue avec la rigueur de l’artisan et la ferveur du croyant. Tout semble pensé pour l’impact, pour la clarté, pour le dialogue immédiat avec le public. Et pourtant, il manque parfois une dimension plus introspective, une respiration poétique. Certaines envolées de guitare, proches d’un Van Halen jazzy, impressionnent autant qu’elles écrasent. On aimerait, à l’occasion, un peu plus d’ombre, d’ambiguïté, de silence. Mais la promesse est là, éclatante: le groupe possède déjà les moyens de ses ambitions, il lui reste simplement à laisser le temps transformer l’influence en identité, l’hommage en signature.
Au fond, The Outernet agit comme un pont, entre époques, entre idéaux, entre mémoire et invention. Cet album rappelle à quel point la musique peut convoquer le passé tout en dessinant un avenir. S’il semble parfois trop dense, trop impatient de convaincre, c’est peut-être parce que ses créateurs savent déjà ce qu’ils valent, mais cherchent encore comment le dire. Pour l’heure, c’est sans doute sur scène que The Outlet brille le plus, là où son intensité respire à plein. Mais tout laisse à penser que, bientôt, ce projet trouvera son juste équilibre entre nostalgie et renouveau, entre le rêve électrique d’hier et la promesse d’aujourd’hui.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, October 23rd 2025
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Musicians :
Phil Turcio: Keyboardist, composer, and the band’s leader. He also produced the album.
Emilio Kormanic: Guitarist
Pete Mollica: Bassist
Pete Drummond: Drummer
Track listing:
The Fury
The Crossing pt I
The Crossing pt II
Mortal
Menacing Images
We Remember
Running From The Aliens pt I
Running From The Aliens pt II