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Les «Small Victories» de Steve Houghton: la puissance contenue d’un batteur qui joue avec réflexion.
Un vétéran de la batterie et de l’enseignement qui transforme la réflexion en rythme, et redonne au swing sa subtilité.
Dans un monde où la batterie de jazz confond trop souvent virtuosité et volume, Steve Houghton a bâti sa carrière sur le principe inverse. Depuis plus de quarante ans, il aborde le rythme comme un acte de pensée, une forme de méditation musicale qui privilégie la clarté à la démonstration, la réflexion à la frime.
Cherchez son nom sur Internet, et vous trouverez d’abord sa longue carrière universitaire, ses manuels de batterie devenus des références, et une discographie impressionnante. Mais ces éléments ne disent pas tout de l’homme. Houghton n’est pas seulement un musicien prolifique; il est un interprète, de ceux, rares, qui font sonner un groupe mieux qu’il ne sonnerait sans eux.
Une discographie qui chuchote avant de résonner
Son parcours ressemble à une encyclopédie discrète du jazz contemporain: AHA Trio – Brother to Brother, Steve Houghton Trio – Beautiful Friendship, Driftin’: AHA Trio Plus One, The AHA! Quintet – Freespace, The Manne We Love: Gershwin Revisited, John Williams Hits pour big band et quintette, Live @ The Senator – Steve Houghton Quintet, Windsong, Remembrances et sa Signature Series. Plus d’une centaine d’enregistrements au total, dialogue constant entre invention et retenue.
Formé à la percussion classique, Houghton s’est produit avec les Boston Pops, les Philadelphia Pops, le U.S. Army Band et le Hollywood Bowl Orchestra, des ensembles où la précision n’est pas une option. Cette rigueur transparaît dans son approche du jazz: chaque son est modelé, chaque rythme pensé. Il ne «joue» pas de la batterie, il la construit.
Un groupe qui s’écoute jouer
Sur son dernier projet, Houghton trouve un partenaire idéal en la personne du pianiste Steve Allee, collaborateur de longue date dont la sensibilité harmonique donne à l’album son centre émotionnel. Ensemble, ils dirigent un groupe à la fois détendu et d’une rigueur exemplaire: une musique confiante, mais sans excès.
Rien n’est précipité, rien n’est décoratif. Chaque titre se déploie avec une logique interne qui reflète l’oreille attentive de Houghton. La musique ne s’impose pas; elle respire. Sur «Waltz for Bill», de Lyle Mays, hommage délicat à Bill Evans,, le jeu de balais et la délicatesse des cymbales rappellent que le meilleur batteur est souvent celui qui sait écouter autant qu’il joue.
«Mes petites victoires ont commencé dans l’orchestre de sixième, mon premier concert, mon premier prix… ma survie à la pandémie et mon retour à la musique. Ces moments ont été les piliers de ma vie.» — Steve Houghton, extrait de sa biographie
L’esprit du pédagogue, le cœur du musicien
Aujourd’hui à la retraite, Houghton regarde son parcours avec une humilité presque désarmante. Dans sa biographie en ligne, il évoque son concept de «petites victoires», ces triomphes modestes qui jalonnent autant la carrière d’un enseignant que celle d’un artiste. Il cite parmi eux ses premiers concerts d’écolier, ses collaborations avec Woody Herman, Freddie Hubbard et John Williams, son poste de professeur d’université, et le simple fait d’avoir retrouvé la musique après la pandémie.
Cette expression, small victories, semble être la clé de tout. Chaque morceau du nouvel album incarne cette philosophie: patience, justesse, profondeur. On sent chez Houghton un équilibre rare, où la rigueur intellectuelle rejoint la spontanéité musicale.
La beauté du mouvement mesuré
Ce n’est pas, à proprement parler, un album spectaculaire. Il n’y a pas de solos interminables ni d’explosions rythmiques. L’intérêt se situe ailleurs: dans l’intention, dans la justesse. Plus on écoute, plus on perçoit la richesse de ces dialogues discrets entre batterie et piano, ces silences choisis qui en disent autant que les notes.
C’est un disque de maturité, du jazz pour adultes, pourrait-on dire, une musique qui fait confiance à son auditeur. Sous son élégance se cache une vérité durable: le jazz, dans ce qu’il a de plus authentique, ne se mesure ni à la vitesse ni à la puissance, mais à l’empathie.
Après vingt années passées à enseigner, Houghton ne cherche plus à prouver quoi que ce soit. Il continue plutôt une conversation: avec ses élèves, ses pairs, son public. Et dans cette conversation, il offre une leçon précieuse, que la maîtrise n’exclut pas la modestie, que l’écoute est aussi un art.
Avec ce nouvel album du Steve Houghton Group, il ne s’agit pas de montrer ce que le batteur sait faire, mais de révéler ce que la musique peut devenir lorsqu’on traite chaque note, chaque silence, chaque petite victoire comme essentielle.
Et Houghton nous rappelle ainsi, avec une élégance tranquille, ce que le jazz a toujours su: que la grâce, même murmurée, peut encore swinguer.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, October 13th 2025
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Musicians :
Steve Houghton – Drums
Larry Koonse – Guitar
Rusty Burge – Vibraphone
Steve Allee – Piano and Fender Rhodes
Jeremy Allen – Double Bass and Bass Guitar
Erin Benedict – Voice
Track Listing :
And Then Some
Faraway
Waltz For Bill
Don’t You Worry ‘Bout A Thing
Make Someone Happy
Blue Comedy
Peau Douce
Fictionary
Lawns
Recorded, Mixed, and Mastered by Jake Belser at Primary Sound, Bloomington, IN