Nicholas Payton – Triune (FR review)

2025 Smoke Sessions Records – Street date: October 13
Jazz
Nicholas Payton – Triune

Nicholas Payton revient avec un trio acoustique étincelant et un groove implacable.

En février 2020, Nicholas Payton faisait la couverture du magazine DownBeat, déjà consacré comme l’un des trompettistes majeurs de sa génération. Aujourd’hui, il revient avec un projet à la fois intime et d’une ampleur éclatante: un album en trio acoustique qui le réunit avec la contrebassiste et chanteuse Esperanza Spalding et le batteur Karriem Riggins, deux des figures les plus brillantes de la scène musicale contemporaine. Pour parfaire l’ensemble, Payton convie quelques invités de prestige, tels qu’Ivan Neville, Erica Falls, Nikki Glaspie ou Otis McDonald. Ce nouvel enregistrement s’apparente moins à une simple session qu’à une véritable rencontre au sommet.

Un prodige né à La Nouvelle-Orléans

Le parcours de Payton a tout d’une légende. Né à La Nouvelle-Orléans, il grandit au cœur de la musique, guidé par ses parents: le bassiste Walter Payton, figure respectée du jazz créole, et Maria Payton, pianiste et chanteuse. Il entame la trompette à l’âge de quatre ans, donne ses premiers concerts professionnels à dix ans, et avant ses vingt ans, se produit déjà aux côtés de Danny Barker, Clark Terry, Elvin Jones ou Marcus Roberts. Son premier disque, From This Moment, paraît en 1995 sur le prestigieux label Verve. Deux ans plus tard, il remporte son premier Grammy, avec le légendaire Doc Cheatham, pour l’album Doc Cheatham & Nicholas Payton.

Depuis, Payton n’a cessé d’avancer. Grammy Awards, albums salués, projets aventureux: il a toujours évolué à la frontière du jazz, tout en restant profondément enraciné dans son histoire. Triune, son nouveau disque en trio, s’inscrit dans cette continuité.

La genèse de Triune

Le titre évoque une trinité, et la musique en porte la marque. Multi-instrumentiste virtuose, Payton navigue avec aisance entre trompette, piano, Fender Rhodes, Clavinet et chant, toujours précis et inventif. À ses côtés, une rythmique qui lui est familière: ce trio s’était esquissé en 2010 dans le cadre d’un quartet avec le pianiste Taylor Eigsti. Karriem Riggins, déjà alors batteur chevronné, cumulait quinze années d’expérience aux côtés de Mulgrew Miller, Ray Brown, Oscar Peterson, Milt Jackson ou Eric Reed. Mais il incarnait aussi une passerelle vers le hip-hop, ayant collaboré avec Common, J Dilla, Daft Punk ou Erykah Badu.

Esperanza Spalding, à l’époque, était une étoile montante, encore loin de son Grammy de «meilleure nouvelle artiste» qui la rendrait célèbre dans le monde entier, mais déjà remarquée aux côtés de Joe Lovano, Stanley Clarke ou Mike Stern. Payton avait immédiatement pressenti le génie et la complémentarité de Spalding et Riggins. «J’ai essayé de nous réunir pendant des années, mais ils étaient toujours très occupés, raconte Payton. Cette fois, tout s’est aligné. La qualité ne faisait aucun doute, c’était juste une question de timing.»

L’album propose surtout des compositions originales de Payton, avec deux morceaux signés par la regrettée Geri Allen, dont l’ombre bienveillante plane sur tout le disque. On découvre une musique sophistiquée, dense dans ses structures harmoniques, mais étonnamment accessible. C’est un jazz urbain, réfléchi, presque intellectuel, mais toujours chaleureux et ancré dans le groove.

Un festin royal de sons

Ce qui fait la force de Triune, ce n’est pas seulement le prestige de son affiche, mais la chimie organique qui se déploie entre ces musiciens. La trompette lyrique de Payton se mêle aux lignes souples de basse et aux voix limpides de Spalding, tandis que Riggins imprime une pulsation d’une fluidité imparable. Les interventions d’Ivan Neville ou d’Erica Falls enrichissent la palette sonore sans jamais rompre l’équilibre du trio.

L’album apparaît moins comme un simple disque que comme un banquet sonore, une table somptueuse que l’on explore à chaque écoute. Le groove y est constant, presque irrésistible, et l’écriture suffisamment subtile pour inciter à la réécoute. Pour les fidèles de Payton, c’est la confirmation d’une polyvalence intacte; pour les admirateurs de Spalding et Riggins, l’occasion de les entendre dialoguer avec un partenaire à leur mesure.

Pourquoi cet album compte aujourd’hui

Si Triune s’impose avec tant de force, c’est d’abord par son contexte. Le jazz du XXIe siècle se nourrit de porosité: il absorbe autant les idiomes du hip-hop, du R&B ou de l’électronique que ceux du swing ou du bebop. Payton est l’un des musiciens les plus francs, et parfois les plus polémiques ,à affirmer que le mot «jazz» ne recouvre plus vraiment la richesse de cette musique, qu’il préfère nommer «Black American Music». On peut discuter ses positions, mais des albums comme Triune plaident pour lui avec une éloquence musicale irréfutable.

Dans l’ensemble de son œuvre, Triune représente un moment d’équilibre. Là où ses projets précédents exploraient davantage les textures électroniques ou les hybridations stylistiques, ce disque revient à une interaction acoustique directe, sans renoncer à la modernité. Il montre qu’on peut allier complexité et clarté, rigueur et groove, intelligence musicale et plaisir immédiat.

Dans un paysage où le débat oppose sans cesse tradition et innovation, Triune se présente comme une réponse apaisée mais radicale: la musique peut être les deux à la fois. Elle peut rendre hommage à Geri Allen tout en accueillant les expérimentations vocales d’Esperanza Spalding. Elle peut faire entendre les réflexes hip-hop de Karriem Riggins sans perdre l’ancrage du swing. Elle peut être exigeante tout en restant profondément réjouissante.

C’est sans doute là le grand talent de Nicholas Payton: rappeler que l’avenir du jazz, ou de la «Black American Music», ne se situe pas dans un choix entre révérence et rébellion, mais dans le dialogue permanent entre les deux. Avec Triune, ce dialogue n’est pas seulement vivant: il est irrésistible.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, October 2nd 2025

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Website

 

Musicians:
Nicholas Payton – trumpet, piano, Fender Rhodes, Clavinet, & vocals
esperanza spalding – bass and vocals
Karriem Riggins -drums

Nikki Glaspie – vocals on “Ultraviolet”
Ivan Neville – vocals, organ, & clavinet on “#bamisforthechildren”
Erica Falls – vocals on “#bamisforthechildren
Otis McDonald – vocals on “#bamisforthechildren”

Track Listing :

  1. Unconditional Love (Geri Allen) 6:20
  2. Ultraviolet (Nicholas Payton) 4:57
  3. Jazz Is a Four-Letter Word (Nicholas Payton) 6:17
  4. Let It Ride (Nicholas Payton) 3:33
  5. Gold Dust Black Magic (Nicholas Payton) 7:10
  6. #jazzisforthechildren (Nicholas Payton) 5:35
  7. Feed the Fire (Geri Allen) 5:35 (*)

(*) digital only bonus track

Features original photography by Brandon Baker and liner notes by Kalamu ya Salaam
Recorded May 1 & 2, 2025, at Esplanade Studios, New Orleans, LA.
Available on LP (limited edition 180 gram vinyl); in audiophile 96khz/24bit and Dolby Atmos special digital formats