Jussi Reijonen – Sayr: Salt – Thirst (FR review)

Un Music – Street Date : October, 2025
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Jussi Reijonen - Sayr: Salt – Thirst

sayr: salt | thirst de Jussi Reijonen — Un voyage sonore et mémoriel sans frontières.

Il existe des albums qui se présentent comme des objets finis, des déclarations polies d’un style ou d’un genre. Et il en existe d’autres qui ressemblent à des rencontres,  fugaces, irrépétibles, presque mystiques par leur intensité. Le plus récent disque de l’oudiste et compositeur finlandais Jussi Reijonen, sayr: salt | thirst, appartient sans conteste à cette seconde catégorie.

Enregistré en une seule session improvisée sur guitare acoustique à cordes d’acier, en mars 2025, l’album échappe à toute catégorisation simple. Ce n’est pas du jazz, même si l’improvisation en est le cœur. Ce n’est pas de la musique classique, bien que son arc rappelle celui d’une suite. Ce n’est pas non plus du folk, malgré ses racines instrumentales anciennes. C’est autre chose: une méditation profondément personnelle qui utilise le son comme véhicule de mémoire, de réflexion et de transcendance.

D’un grand ensemble à une voix solitaire

Ce projet dépouillé succède à Three Seconds | Kolme Toista (2022), une suite ambitieuse pour grand ensemble en cinq mouvements, saluée par la critique comme «une œuvre unique en son genre; elle ne se contente pas d’alterner les styles, mais invente une forme au-delà du genre». Là où cet album tendait vers l’extérieur, embrassant les textures orchestrales et les voix collectives, sayr: salt | thirst se tourne vers l’intime. Le contraste est volontaire: un seul musicien face aux possibilités d’un instrument, d’un après-midi, d’une improvisation ininterrompue.

Structuré comme les deux faces d’un vinyle, salt d’un côté, thirst de l’autre, le disque se déploie en sous-sections comparables à des chapitres dans un récit. Et bien que Reijonen ne joue ici que de la guitare, l’univers sonore convoqué dépasse largement ses cordes: on y entend l’esprit du kantele finlandais, du sintir marocain, de la kora ouest-africaine, et bien sûr de l’oud, instrument central dans le parcours de l’artiste.

Échos et influences

Écouter ce disque, c’est parcourir un véritable atlas de voix musicales. On y devine par instants la méditation de Hamza El Din, ailleurs les inflexions blues de Lightnin’ Hopkins. Certains passages rappellent la pulsation désertique d’Ali Farka Touré, d’autres les cascades virtuoses de Toumani Diabaté. Une phrase fait écho à la précision incandescente de Paco de Lucía, une autre aux ornements vocaux de Oum Kalthoum ou de Fairuz, transfigurés dans les timbres instrumentaux. Ce ne sont pas des citations ni des pastiches, mais une absorption. Le talent de Reijonen consiste à laisser coexister ces influences non comme des idiomes empruntés, mais comme des éléments organiques de sa propre langue musicale.

Une écoute exigeante

Cet album n’est pourtant pas simple d’accès. Sa dimension contemplative, presque ascétique, le destine davantage à une écoute attentive qu’à une consommation distraite. Par moments, il ressemble moins à un produit de studio qu’à une rencontre en direct, où les silences comptent autant que les notes. Le fait qu’il ait été enregistré d’une seule prise,  sans retouches ni ajouts, accentue ce caractère éphémère. Ce que l’auditeur reçoit n’est pas une «composition» au sens classique, mais un acte de découverte, déroulé seconde après seconde.

L’homme derrière la musique

La singularité de cet enregistrement tient aussi à la biographie de Reijonen. Né en Finlande, il a grandi en Jordanie, en Tanzanie, à Oman et au Liban, avant de s’installer aux États-Unis. Cette trajectoire transnationale s’entend dans chacun de ses gestes musicaux. Son jeu porte à la fois l’austérité nordique, l’ornementation arabe, la vitalité rythmique africaine et l’ouverture américaine. Ce cosmopolitisme n’aboutit pas à un éclectisme gratuit: il façonne une approche profondément enracinée, mais sans frontières.

Un voyage nommé sayr

En arabe, sayr signifie cheminement, progression, voyage. C’est exactement ce que propose ce disque: une traversée géographique et émotionnelle. On y passe de la mélancolie à la tension, du réconfort à la délivrance. On y voit apparaître des images de pieds nus dans la terre, de branches et de racines, de paysages à la fois mémorisés et réinventés. L’improvisation se fait alors «palais mnésique acoustique»: un lieu où la mémoire est évoquée et remodelée par le son.

Impressions finales

Tout le monde ne trouvera pas son compte dans cette musique. Son refus des catégories, sa résistance à la brillance, son attachement à une simplicité radicale pourront déconcerter ceux qui cherchent des refrains, des accroches ou une identité stylistique claire. Mais pour ceux qui accepteront de s’y abandonner, d’en suivre la logique discrète, la récompense sera considérable.

sayr: salt | thirst est moins un album qu’une affirmation d’identité artistique: intransigeante, sans frontières, et profondément humaine. Il rappelle que certaines des musiques les plus durables ne naissent ni de calculs ni de comités, mais de l’écoute d’un seul musician, attentif à sa mémoire, au silence, et aux résonances du monde qu’il a vécu.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, October 1st 2025

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To buy this album

Website

Musician: Jussi Reijonen

Track Listing:
Salt
Thirst

Performed by Jussi Reijonen
Recorded March 1st 2025 at Unsound, Helsinki, Finland by Jussi Reijonen
Mixed and mastered at Bacqué Recording by Luis Bacqué
Produced by Jussi Reijonen