Americana |

Né et élevé dans une famille de musiciens à Fort Worth, Texas, Collin Herring présente, de ce côté de l’Atlantique du moins, tout du secret le mieux gardé. Non pas qu’il soit devenu pour autant prophète en son pays: à peine une figure un peu plus énigmatique que la moyenne, au sein de cette niche éminemment fourre-tout que l’on désigne là-bas en tant qu’alternative country. Bien qu’accusant certains traits caractéristiques d’un family man (son multi-instrumentiste de père, Ben Roi Herring, le secondait régulièrement sur scène autant qu’en studio), ce désormais quasi-quinquagénaire n’en a pas moins passé le début de ce millénaire à faire les quatre-cents coups, et ce nombre s’avère sans doute bien en deçà de ceux qu’il s’est envoyés derrière la cravate. De bamboches à répétition en cures de désintoxication (en passant par un divorce), ce brave Collin a tout de même trouvé le moyen de se faire exclure du club de sa ville où il se produisait le plus couramment, pour finir par se déporter à Austin (après un séjour californien de rigueur), le temps de se calmer un brin avant de réintégrer Ft. Worth, tel le fils prodigue trop longtemps en exil. Entre temps, il a réussi à enregistrer une demi-dizaine d’albums, dont voici le tout premier, capté en 2002 (et dont le titre résume son attitude au regard du show-biz, et de la vie en société). S’ouvrant sur un “Means Good” semi-acoustique, où l’on croirait ouïr Stephan Eicher épaulé par Crazy Horse et reprenant Neil Young (impression qui se réitère plus loin avec “Hard Thing To Fake”), on y apprécie d’emblée la valeur de ses complices: Austin Barker aux guitares, banjo et mandoline, Jeremy Hull à la basse et Billy Walters aux baguettes y complètent les miscellaneous du paternel (pedal steel, piano, orgue, chœurs et accordéon), tandis que les paroles dépeignent une mangeuse d’hommes locale dont Collin (chant, songwriting et guitare acoustique) semble avoir fait la pitance. Le self-deprecating “Heaven Never Works Out” n’aurait pas déparé les premiers Eagles (si toutefois ces derniers avaient pu bénéficier d’un lyricist moins niais que d’ordinaire), et le manifeste “Hardwood Floors” rejoint John Prine et Steve Earle au panthéon des heavy-drinkers impénitents, quand bien même “Drinking Again” en décrit immédiatement après les effets dévastateurs. Le couvre-feu qu’appelle de ses vœux le folky-funk “Curfew”, et ces autres appels au répit que constituent “Heavy Heart” et “Fair To Middlin'”, auraient quant à eux pu figurer aisément au répertoire de REM et Counting Crows. Il n’est pas superflu d’insister encore sur la qualité supérieure des textes (aussi poétiques que néanmoins explicites), dont l’objectif traduit un désir manifeste d’interpeller les membres les plus vulnérables de leur auditoire sur le plan émotionnel. Avec une pedal-steel aux trousses, le fataliste “Leaving Durango” reprend ainsi le thème de l’éternel rambler fuyant une nouvelle relation sans issue, tandis que le contrit “Angels” ressasse, mandoline à l’appui, l’impossible rédemption à laquelle Collin prétendait déjà en vain sur “Heaven Never Works Out”, et que “Things I Wanna Do” ainsi que le perplexe “Train On Her Brain” rockent la country comme surent le faire les Stones sur “Dead Flowers”. On y songe à Lucinda Williams et Dwight Yoakam pour le son, mais alors en version tête-à-claques littéraire question lyrics, quelque-part entre Steve Earle et Townes Van Zandt (soit un tantinet plus incisif dans le raccourci qu’un Bruce Springsteen, capable quant à lui de dévider le scénario d’un film en panavision à partir d’un rétroviseur de berline). Le swing-shuffle “Slow Moving Street” s’avère particulièrement représentatif en la matière: les images s’y entrechoquent selon un schéma impressionniste que l’on ne retrouve guère que chez Dylan et certains de ses disciples (notamment Neil Young, Van Morrison et Sturgill Simpson, pour ne pas les citer tous). Ce disque se clôt sur le fourbu “Hi On The Side (If This Truck Could Fly)”, three steps hagard et claudiquant, constat amer et désabusé d’une vie encore jeune, mais déjà cabossée par les errances et les excès… Belle somme, mais sévère fardeau pour un début (on croirait presque y entendre les oraisons des regrettés Guy Clark et Gram Parsons), ce point de départ serait donc encore suivi de quatre parutions en douze ans. So what? Après un ultime album en 2014 (“Some Knives”) et quelques concerts sporadiques l’année suivante, Collin semble s’être évaporé pour de bon, allant jusqu’à désactiver toute présence de sa part sur les réseaux sociaux. Plutôt que le Hank Williams ou le Syd Barrett de l’alt-country, et si l’on tenait là au contraire le prochain James Williamson? Vous savez bien, l’ex-guitariste du “Raw Power” des Stooges, qui entama par la suite une seconde (et fructueuse) carrière en tant que high executive dans la Silicon Valley, avant de revenir à la musique dépenaillée de ses débuts, l’âge de la retraite venu. Si quelqu’un en sait davantage, comme on disait jadis, merci d’écrire au journal… En attendant, les héritiers d’Uncle Tupelo (Wilco, Drive-By Truckers, Jason Isbell et consorts) ont certes amplement prospéré sur ce terreau, mais il n’est toujours pas trop tard pour (re)découvrir un talent si particulier que celui de Collin Herring. Vous vous-en féliciterez sûrement.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, August 25th 2025
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