Alcatraz Festival 2024

Alcatraz Festival 2024

Alcatraz Festival, du 09 au 11 août 2024
Courtrai / Kortrijk, Belgique
16ème édition
> 30 0000 spectateurs

Texte et Photos: Jean-Christophe Baugé (BLUES MAGAZINEJAZZ NEWSLEGACY (DE)MYROCKPARIS-MOVEROCK & FOLK)

VENDREDI…

La pierre d’achoppement de The Sound Of Scars est l’engagement de la tête folle de LIFE OF AGONY, Mina née Keith Caputo, sur un autre théâtre d’opération que sa carrière solo (1997-2002 et 2012-2014). Transgenre – mais pas transexuelle – depuis 2011, Mina cède à ses pulsions exhibitionnistes sur la scène principale de l’Alcatraz en 2014, quand d’autres incitent à faire meute comme le militant Thomas James Gabel – devenu Laura Jane Grace en 2012 – du groupe Against Me! Le traitement hormonal semble sans effet sur sa tessiture. Ce n’est pas un hasard si le titre The Sound Of Scars est repris par le documentaire victimaire de Leigh Brooks qui fraye plus qu’une meurtrière dans la muraille de l’intimité de Life Of Agony… où l’on est toxico de père en fils/ fille. Montons le son et sortons le pop-corn. D’un vil travail de copiste – Soundgarden pour “Lay Down” et Alice In Chains pour “Empty Holes” – coproduit pour la première fois par Joey Z (guitariste et cousin germain de Mina) affleurent “Scars”, nouvelle référence du CV de la batteuse Veronica Bellino (ex-Jeff Beck, Run DMC, Richie Sambora), et “Eliminate”, épisode psychotique esseulé. Crânement présenté comme la suite de River Runs Red (1993), point d’ancrage d’un ex-groupe sanguin à la scène hardcore new-yorkaise, ce sixième album nimbe son souvenir d’une nuance d’irréalité.

Même si quelques esprits chagrins ont pris plaisir à haïr CRADLE OF FILTH pendant sa période faste, Cruelty And The Beast (1998) et Midian (2000) n’en demeurent pas moins des fresques black metal “vampérotiques” qui collectionnent tous les superlatifs. Depuis, le groupe a traversé une crise identitaire sans précédent en tentant de se renouveler: en poussant d’abord très loin le curseur de la violence sur Darkly Darkly Venus Aversa (2010), puis en intégrant des éléments punk sur The Manticore And Other Horrors. “The Abhorrent” résume à lui seul la situation: une voix qui ne vocifère plus dans les aigus comme avant, pas ou peu de chœurs féminins, un synthé qui peine à se frayer un chemin au milieu des rythmiques thrash, des successions de plans qui masquent l’absence de véritables refrains, de la précipitation avec quelques blasts et beaucoup de descentes de toms. Certes, Cradle Of Filth est toujours maître dans l’art du montage de textures denses et s’émancipe peu de ses propres codes esthétiques (inspiration lofcraftienne ou vampirique/ lycanthropique des textes), mais le manque d’accroche mélodique finit par peser.

Satisfait de l’esthétique sombre de son power metal et des ventes qu’elle génère chez les Allemands de souche, Sebastian “Seeb” Levermann, tête pensante et chantante d’ORDEN OGAN, porte au plus haut le concept de la grande faucheuse condamnée à l’errance, filé sur six albums chez AFM. Pour briser sa malédiction et œuvrer pour le bien commun, Alister Vale doit, sur recommandation de l’Ordre (“Orden” en allemand) de la Peur (“Ogan” en celte), verser le sang de son meilleur ami à la pleine lune. On comprend dès lors que les paroles de la power ballad “My Worst Enemy” puissent être interprétées à plusieurs niveaux. Le groupe, en quête de respectabilité dans le mauvais camp ou aspiré par la puissance du néant, élimine hélas les derniers fragments prog’ du grand Easton Hope de 2010 comme de vulgaires calculs rénaux: seuls les soli intriqués de la paire indifférenciée Niels Löffler/ Patrick Sperling et les orchestrations de “Anthem To The Darkside” font sauter le verrou mental de la simplification. Le pronostic vital est désormais engagé…

Les Suédois d’AMON AMARTH, dont le nom ne l’est pas (“Montagne du Destin”, en langage gris-elfique inventé par J.R.R. Tolkien), ont d’abord tué au débotté sur Once Set From The Golden Hall en 1998, fouetté au knout sur The Avenger en 1999, avant de s’engager sur la mélodie à tout prix. C’est que les cinq musiciens, qui ont passé plus de la moitié de leur vie au sein du groupe, ont lentement mais sûrement migré de l’une à l’autre de leurs influences principales: Deicide pour la technique, puis Iron Maiden pour la dynamique. Cinq? Moins un: le batteur Fredrik Andersson, joignable exclusivement par l’intermédiaire de son avocat, a été remplacé par l’ex-October Tide Jocke Walgren, plus jeune et moins blond. Si Berserker personnifie le plus féroce des guerriers vikings, vaincu par l’armée anglaise sur le pont de Stamford en 1066, l’album, lui, est un vade-vecum de heavy metal cousu de fil blanc pour la métalleuse de plus de 50 ans. La voix extrême de Johan Hegg, entretenue à la cervoise bue à même la corne d’aurochs, pourrait désormais sembler hors sujet à un jeune disciple prenant le train en marche. “Raven’s Flight”, death metal mâtiné de chorus de guitares à la tierce, n’est qu’un ultime rideau de fumée. Sur scène, la pyrotechnie et les drakkars en carton-pâte font oublier cette production de Jay Ruston, qui en manque. De roustons.

SAMEDI…

“Mais que fait un aussi bon soliste dans un groupe aussi médiocre?” s’interrogeait, au crépuscule des années 1980, la presse spécialisée à propos d’Alex Skolnick et TESTAMENT. Une question qui prête aujourd’hui à sourire puisque les trois premiers albums des thrashers de la Bay Area sont désormais considérés comme des étalons du genre. A l’issue d’un long parcours chargé d’épreuves (changements de line-up, cancer de Chuck Billy), le groupe quasi-originel revient avec neuf titres qui ne versent pas dans la facilité du tout brutal. Si les paroles de Dark Roots Of Earth (“A Day In The Death Of Mankind”) sont sombres comme la superbe pochette issue des pinceaux d’Eliran Kantor, la bande-son, elle, est brillantissime. Et devinez quels sont les deux éléments discriminants? Messieurs Skolnick et Hoglan, bien sûr! Le guitariste à la mèche blanche est aussi créatif qu’expansif, et l’ex-Fear Factory/ Death ne retient pas ses coups (blasts ponctuels et cymbales à contretemps). La cohésion de groupe n’est cependant jamais prise en défaut, à l’instar des harmonisations Skolnick/ Peterson à la tierce amenées avec finesse.

Les informations subtiles, emprunts modaux et gageures harmoniques de la musique d’EPICA élèvent notre conscience depuis 2003, nous éclairant, en creux, sur l’effondrement musical de nos sociétés du home studio. L’acmé? L’ambitieux “The Ghost In Me”, tiré à balles réelles (orchestre et chœurs) par le groupe à Amsterdam en 2024… Un biais de sélection, pourrait-on nous reprocher. Car Aspiral, qui tire son nom d’une sculpture de Stanisław Szukalski évoquant le renouveau, est l’album post-coïtum orienté chansons (“Fight To Survive”) et arrangements (des pizzicati de “Metanoia” au manège désenchanté de “T.I.M.E.”) qu’on attendait peu. Le morceau-titre en apesanteur confirme que Simone Simons, mezzo-soprano à croupe d’ivoire, reste, à quarante ans, un objet de convoitise. Et pas seulement pour son portraitiste officiel, le Gantois Tim Tronckoe. Car elle nivelle par le haut cet art qui nous tient tant à cœur.

DIMANCHE…

Motocultor festival, Bretagne, 16 août 2013. A l’annonce de “Fecal Forgery”, déjection de Sven de Caluwé extraite de l’album Global Flatline, les fidèles restent interdits: “Cette chanson parle de sodomie et de caca sur les nichons!”… L’image de Miri Milman, épouse du hurleur et chanteuse du groupe System Divide également à l’affiche, se mêle alors à d’autres, plus scabreuses, dans l’inconscient collectif. Au vu de la pochette “gore de nerd” de Terrorvision signée Pär Olofsson, représentant la somme de toutes nos peurs sous forme de monstres, on se dit qu’ABORTED, seul export belge tenant de la violence légitime, n’arrêtera décidément jamais. “Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir”, nous signifie même l’introductif “Lasciate Ogne Speranza”, extrait de La Divine Comédie de Dante. Pourtant, le rempart de death metal que le groupe, plus soudard que géopoliticien, dresse contre le désenchantement social laisse échapper quelques mélodies de ses meurtrières. Lugubrement introduit, “Vespertine Decay” flatte ainsi l’oreille sans perdre de sa puissance de frappe, à l’instar d’un Behemoth… Dans le clip, il était écrit que la sataniste aux mamelles scotchées, opérant à cœur ouvert, finirait par cunnilinguer sa maîtresse. “Squalor Opera”, plus moderne car ponté d’un riff en corde à vide, offre à voir une séance de “windmilling” de longues chevelures, même pour le batteur Ken Bedene. Celui-ci, non content d’abattre du blast comme un forcené, a composé plus de la moitié de l’album à la guitare, soit plus que la paire Mendel Bij De Leij – Ian Jekelis réunie.

Point de bascule des Suédois d’OPETH dans l’après-metal extrême, Heritage (2011) avait recréé, pour les fans conservateurs, le péché originel sans rémission. Vae victis, malheur aux vaincus! Plus encore que Pale Communion (2014), Sorceress illustre de façon aveuglante la réalité du changement d’étiquette. Mikael Åkerfeldt, en chantre lyrique du grand remplacement, explore toutes les nouvelles possibilités offertes par la voix claire et des collaborateurs à l’ego sclérosé. La narration féminine du prologue/ épilogue “Persephone” offre une clé de compréhension assez simple du traitement des aspects les plus douloureux de l’amour. Le champêtre “Will O The Wisp”, proche de “Jack In The Green”, et le schizophrène “Strange Brew”, coécrit par le guitariste Fredrik Åkesson, exploitent sans mettre à sac le patrimoine immatériel de Jethro Tull et King Crimson. Le médiéval “A Fleeting Glance”, rehaussé de clavecin, acte le retour des soli de guitare: le premier sans médiator pour fusionner, le second avec pour déchirer. Ce rock progressif fascinant, jamais exaspérant, évite toute ghettoïsation intellectuelle. A tel point qu’entre Opeth et Steven Wilson (producteur de Blackwater Park en 2001, Deliverance en 2002, et Damnation en 2003), la jalousie semble avoir changé de camp… Toute forme d’estime n’est-elle pas bonne à prendre?

Duél, cinquième album balayant cinquante nuances d’agressivité contenue, de “Someone’s Daughter” à “Fast Draw” sous-accordés en drop A, a-t-il fini de creuser le sillon “groove metal” encore incertain aux débuts de JINJER en 2011? Son histoire s’écrit, en effet, à l’encre du tragique. Le groupe, qui a vécu deux phases de la guerre russo-ukrainienne (Donbass en 2014, invasion russe en 2022), est désormais ambassadeur et collecteur de fonds, se taillant un créneau médiatique sans plonger dans le marigot politique. Tatiana Shmayluk, égérie de la paix qui marrie la carpe et le lapin, i.e. voix claire et growl, irradie très fort depuis son épiphanie avec “Pisces”. Son double jeu schizophrénique, souvent copié (Elena Cataraga, d’Infected Rain), n’est jamais égalé (youtubeuses autoproclamées coaches de chant). Reste à savoir si Roman (guitare), Eugene (basse) et Vladislav (batterie), les pieds sur terre mais pas encore la tête dans les étoiles, échapperont à la conscription à Kiev…

A comme… ARCHITECTS, quartet de Brighton à l’identité visuelle forte et à la musique qui ne l’est pas moins. Outsider aujourd’hui et valeur sûre demain d’un genre metalcore gangréné par la médiocrité des groupes de suiveurs, Architects est passé maître dans l’art de rationaliser l’agressivité sonore. Il se réinvente même sur Lost Forever, Lost Together, composé entièrement par le guitariste Tom Searle, libre de ses mouvements depuis le départ de son alter ego despote Tim Hillier-Brook. Les textes de Samuel Carter, habités par les dérapages des puissants de ce monde ivres de pouvoir, s’ouvrent à quelques digressions sur le cancer, l’environnement et le fondamentalisme religieux. Les metalheads, qu’ils soient jeunes et ravagés par le conformisme ambiant, ou vieux et coupables d’accoutumer les précédents à la violence, auraient-ils donc quelque chose entre les oreilles? Oui, si l’on croit les plus anglophones d’entre eux, n’hésitant pas à qualifier du mot-valise “eargasm” leur découverte de la première moitié d’album, vocalement saturée (“The Devil Is Near” et son riff diabolique descendant), et de la seconde, à peine plus claire (“Youth Is Wasted On The Young”, featuring Murray Macleod, chanteur du groupe rock alternatif The Xcerts).

 

Texte et Photos: Jean-Christophe Baugé (BLUES MAGAZINEJAZZ NEWSLEGACY (DE)MYROCKPARIS-MOVEROCK & FOLK)

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