Concert de Moriarty au Trianon de Paris

                         Concert de Moriarty au Trianon de Paris

Reportage: Anne-Marie Calendini & Dominique Boulay
Lundi 14 mars 2011, au Trianon de Paris
Photos: © Anne Marie Calendini

Welcome to the Moriarty Guesthouse, the hotel with a missing room’.
C'est par cet énigmatique message que le groupe français Moriarty a décidé de présenter son nouvel album en posant ses valises au Trianon de Paris du 14 au 20 mars 2011. Une semaine sédentaire mais active, rythmée par une série de concerts, des animations musicales pour petits et grands, d'invités-artistes anachroniques et inattendus. Le groupe profite du lieu récemment restauré pour faire découvrir son dernier opus, ‘The Missing Room’, à la fois en live et en CD, car en ce 14 mars, l'album n'est toujours pas dans les bacs. Sa sortie n'étant prévue que pour le 26 avril 2011…, mais le public averti pouvant déjà l’écouter via internet.

Bien avant le début du concert, le Trianon fourmille de gens qui boivent un verre, discutent, jouent de la guitare, chantent, en attendant l’événement. Les salons sont délibérément ouverts et des stands proposent les produits dérivés habituels (CD, T-shirts, affiches, sacs, badges…), véritable petit marché animé par un joyeux brouhaha. Des musiciens du groupe circulent même au milieu des spectateurs, tels des badauds déambulant dans les allées de ce bazar bigarré.
Le Puzzle se met petit à petit en place. Le mystérieux hôtel fait donc référence au titre du nouvel album, ‘The Missing Room’, mais qui est donc ce musicien venu du froid prénommé Bruno Helstroffer qui doit nous présenter sa guitare géante…?

Il faut attendre la première partie de cette soirée pour découvrir cet artiste tenant dans ses bras un instrument au long manche d'origine italienne, le Théorbe. Durant tout son set, Bruno Helstroffer nous propose un voyage instrumental entre la musique de la Renaissance, le Blues du Delta et une musique orientale parfois teintée de Flamenco. Le public écoute, médusé, respectueux et conquis, à en juger par les applaudissements nourris qui ponctuent la prestation du musicien.

Il nous tarde, désormais, de pénétrer dans l'hôtel de Moriarty, teinté de mystère. Le décor sur scène est assez minimaliste: quelques vieilles valises empilées, des malles aussi, dont on devine qu'elles ont bourlingué et traversé de multiples décennies. Un long voile transparent en arrière plan dessine un arc de cercle d'un bout à l'autre de la scène.
Le voyage commence avec l'arrivée du groupe, Miss Rosemary Standley au chant, Thomas Puéchavy à l'harmonica, Arthur B.Gillette et Charles Carmignac aux guitares, Stephan Zimmerli à la contrebasse et Eric Tafani à la batterie, qui alternera selon les concerts avec Vincent Talpaert, absent ce soir.

Vêtue d'une robe noire et blanche avec jupon de tulle, Rosemary s'installe telle une diva intemporelle derrière son micro et nous livre son petit trésor, cette voix, forte et mystérieuse, élégante et magique. Chacun, en l'écoutant, peut y trouver sa petite madeleine. Les titres du nouvel opus s'égrènent dans un fondu-enchaîné sonore des plus attrayants!
Si la formation n'a pas délaissé les ballades tendance folk-blues, la puissance électrique s'intensifie sur la nouvelle galette, notamment grâce aux guitares, comme sur le titre ‘Clémentine’, dont la construction guitare-voix-harmonica va crescendo pour finalement exploser sur scène. Ou bien encore avec un titre comme ‘Where is the light’ sur lequel ce ne sont pas moins de trois guitares électriques qui s'expriment et nous offrent de fabuleuses envolées.
Ces mémorables instants musicaux alternent avec d’autres qui laissent apprécier des titres plus acoustiques tels ‘How Many Tides (After Sean Sellers)’ et ‘Beasty Jane’ dans lesquels les notes d'un accordéon diatonique que l'on retrouve aussi sur ‘Decaf’, élargissent les horizons du voyage instrumental.

La scénographie est très précise: il y a les éléments du décor et le jeu scénique de la chanteuse Rosemary qui, outre la sensualité des robes des années 40 et 50, habille également les chansons d'une gestuelle élégante, racée et toujours expressive. Mouvement gracieux des bras, des doigts, volupté du corps derrière le micro, tout est sensations. Un jeu sensuel particulièrement prégnant sur l’instrumental ‘Serial Fields’ pendant lequel Rosemary quitte le devant de la scène pour passer derrière le voile, laisse libre cours à des mouvements embarquant notre imaginaire.
Un voile qui se transforme en écran de cinéma et sur lequel on devine plus qu’on ne voit, d’ailleurs, sur la chanson ‘Isabella’, le visage de Marcello Mastroianni, sans doute assis dans la décapotable d'Isabella…

Les guitaristes donnent leur pleine mesure sur les titres du dernier album aux rythmiques débridées, avec des sonorités qui rappellent les seventies et l’époque psychédélique.
Puis musiciens et chanteuse se rassemblent derrière un même micro. Le public reconnaît la posture et les toutes premières notes du titre emblématique de Moriarty, ‘Jimmy’, reprenant en choeur le refrain de ce petit bijou acoustique sur lequel s'exprime toute la synergie du groupe. Encore quelques chansons et le combo quitte la scène du Trianon tandis que le public trépigne, car il faut bien avouer que les musiciens ont mis le feu à la salle.

Seule revient la belle Rosemary, accompagnée de Bruno Helstroffer et son Théorbe, interprétant ensemble une chanson de la Renaissance. Moment anachronique et presque de recueillement avant que les musiciens ne réapparaissent à nouveau en scène, sous les applaudissements nourris du public. C’est avec le titre ‘Cottonflower’, extrait du premier album, que le combo démarre en douceur pour gagner ensuite en nervosité rythmique jusqu'à l'ultime note. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, le groupe enchaîne avec ‘Private Lily’, autre perle du premier album intitulé ‘Gee Whiz But This Is A Lonesome Town’….si jamais vous ne le possédez pas encore. Sur ces deux titres, le public se délecte du son que le dobro délivre grâce à sa caisse de résonnance métallique.

Le délicieux voyage arrive à sa fin, l'hôtel ferme ses portes et l'énigme est résolue: Moriarty a dévoilé le mystère des titres de son dernier album. Un groupe aux origines américano-françaises et aux contenus intelligents et raffinés qui ne ressemble à aucun autre. Il compose une musique évocatrice où l'espace-temps est sans cesse bousculé, vous embarquant tantôt dans un train à la destination inconnue, tantôt dans un cabaret rétro, tantôt dans le grand ouest américain, tantôt dans un décor à la Tim Burton… Une force évocatrice sans limites qui tient autant à la qualité des mélodies qu'au jeu habité des musiciens.

Moriarty est à voir sur scène pour l'énergie qu'il dégage, l'engagement entier de tous ses musiciens et de sa chanteuse dont la voix envoutante ne se dément pas. Les belles images qui vous remplieront la tête et le cœur en quittant la salle vous accompagneront longtemps. Tout enivré d’ émotions positives et l’imaginaire refait à neuf, ce qui, dans le contexte actuel est déjà une vraie prouesse, vous n’aurez plus qu’à vous mettre à l’affût des prochaines dates de » la tournée, tout en écoutant leur dernier album, ‘The Missing Room’, jusqu’à l’impossible satiété.