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Contrairement à ce que ceux qui ont fait anglais troisième langue pourraient arguer, Hen Ogledd ne signifie nullement “poule aux œufs d’or”. Si “hen” se traduit bien en anglais par poule, l’expression “hen ogledd” désigne en gallois ancien les territoires situés entre le nord du Pays-de-Galles et le sud de l’Écosse. Constitué au départ de l’excentrique Richard Dawson (bien connu de nos services) et de la harpiste Rhodri Davies, ce duo à vocation initialement bruitiste a déjà enregistré deux albums (dont un live), mais leur troisième effort marque un tournant dans leurs orientations. Augmentés de la chanteuse Sally Pilkington, du batteur Will Guthrie et de leur usual mate Dawn Bothwell, ils se sont en effet contraints à livrer cette fois dix chansons formelles, à la différence des longues digressions auxquelles ils avaient commencé à nous habituer. Faut-il en conclure que ces joyeux allumés (dignes héritiers du Gong des origines) se seraient résignés à rentrer dans le rang? On est fixé sur ce point dès “Love Time Feel”, qui ouvre les festivités: entre les premiers Soft Machine et Syd Barrett, la bizarrerie demeure, même si elle prétend emprunter désormais des chemins plus conventionnels. Porté par les chœurs féminins de Bothwell et Pilkinton, l’élégiaque “Sky Burial” donne l’impression d’entendre les Mamas & Papas kidnappés par quelque savant fou, avec ses zinzinements de synthés et ses licks de guitare saturée. Quant au single “Problem Child” (chanté de sa rauque voix de tête par Dawson), il n’entre réellement dans les canons pop traditionnels que par la lucarne qu’y entrouvrirent en leur temps d’autres explorateurs tels que les regrettés XTC. Chanté à nouveau par Sally Pilkington, “First Date” cahote ensuite sur un pont chinois de percussions et de bruitages dans la ligne de Brian Eno et du “Revolution 9” du couple Lennono. “Gwae Reged O Heddiw” est une dictée, lors de laquelle Dawson fait répéter par une petite fille amusée l’inventaire à la Prévert qu’il lui chuchote, “Dyma Fy Robot” un intermède brutal au vocoder, et “Tiny Witch Hunter” un remake des comptines qu’ânonnaient les B-52’s (mais avec un hautbois atonal rappelant Lyndsay Cooper de Henry Cow). Suspendons là notre revue de détail, et résumons le propos: si vous êtes allergique à des expériences aussi barrées que le “Sandinista” de Clash, passez votre chemin. Si par contre vous vous revendiquez adepte de Hawkwind (“Welcome To Hell”) et de l’école de Canterbury (“Etheldreda”), ainsi que des légendaires formations qui s’en réclamèrent (et dont Robert Wyatt constitua l’un des viatiques), cet album de Hen Ogledd vous promet de belles soirées en perspective.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, May 4th 2020